Raemilia passe un doigt sur ses pauvres bracelets. Leur éclat noir commence à se ternir, à force d’être tachés et essuyés encore et encore. Elle n’a plus autant besoin de s’en servir en tant qu’armes, depuis qu’elle s’est habituée à sa malédiction, mais il lui arrive malgré tout de les tâcher par moments du sang d’un imprudent qui a cru possible de s’en prendre à elle, sous couvert d’une quelconque autorité masculine. Même parmi la mafia, il en reste qui n’ont pas entendu parler des femmes Adamson et de l’impossibilité de les toucher.

Soit. Ce sera une bonne manière d’occuper sa journée, puisque les registres qu’elle attend encore sont en retard. D’un geste rendu rapide et agile par la force de l’habitude, elle passe les deux bracelets à ses poignets et se relève, délaissant son bureau pour les rues animées de la Nouvelle-Rome. Encore maintenant, elle continue de faire tourner quelques regards dans sa direction. Elle pourrait s’en ennuyer, si ce n’était pas aussi utile au quotidien. Pour autant, cette fois-ci, elle doit se montrer discrète.

Sans un regard pour les curieux, elle tourne dans une ruelle. Puis dans une autre. Une porte plus tard, elle se retrouve dans un couloir qui la mène jusqu’à une troisième ruelle, et après quelques tours supplémentaires, elle finit son chemin en toute discrétion pour arriver dans la forge où elle sait trouver celui qu’elle cherche.

« Clayton, chéri. »

Elle sait qu’elle n’a pas besoin de plus pour s’annoncer et pour attirer son attention, quand bien même fut il occupé sur un autre projet. Un tour de passe-passe supplémentaire lui permet d’enlever les deux bracelets qu’elle entrechoque pour leur donner leur forme originelle. Deux gants imposants, qui pourraient donner l’impression de sortir de l’air médiévale s’ils n’étaient pas d’un noir profond et ornés de plus de piques qu’un chevalier n’en aurait eu l’utilité. Elle les dépose sur le comptoir devant lequel elle se tient droite, royale.

« Il y a longtemps que je n’ai pas entretenu mes gants comme il le faudrait, avec tous ces allers-retours. J’aimerais que tu t’en charges, si tu es toujours à la hauteur. »

Presque un défi, mais pas tout à fait. Elle sait qu’il l’est. Il faisait dix centimètres de moins quand il avait forgé ces merveilles, et aujourd’hui ses talents sont d’autant plus prononcés. Raemilia garde les sourires charmeurs qu’elle offrirait aux commerçants habituels. Pour Clayton, c’est un sourire fier, sûr d’elle et emplit d’une étincelle de malice qui orne le masque qu’est le visage de Raemilia. Un sourire qui ne lui laisse pas le choix, mais qui ne le laissera pas non plus sans paiement en contrepartie.

L’enthousiasme de Clayton est toujours une vision agréable. Fidèle, énergétique, respectueux. Même la part plus chaotique qu’il possède actuellement le rend plus avenant face à Rae, qui se délecte de le voir venir à elle en se rhabillant comme si ça pouvait arranger le problème de ses cheveux ou de son visage sali. Rae n’en perd pas son sourire, cachant son amusement derrière une façade droite et assurée pour ne pas donner de fausses idées à son poulain.

Un jeu d’enfant, Rae n’en attendait pas moins venant de sa part, lui qui a réussi à lui forger les merveilles qui ornent ses poings lorsqu’il était encore si jeune. Elle aime observer son regard qui fuse sur toutes les parties abimées de ses gants. Le regard d’un expert, le même qu’elle utiliserait pour observer une cible, quoi que plus enfantin et lisible.

Alors que Clayton commence à préparer son établi pour la réparation des gants, Rae laisse ses doigts et ses yeux courir sur le carnet qu’il a laissé ouvert près d’elle. Elle marche d’un pas lent autour du comptoir, comme si elle visitait un lieu qui lui appartenait pourtant. Tu veux des améliorations en plus ? Rae lit le carnet en faisant mine de réfléchir. Les croquis et les annotations sont certainement suffisantes pour qu’un habitué s’y retrouve, mais Rae n’est pas forgeronne, en dépit de ses nombreux talents.

« Tu peux te contenter de les réparer pour cette fois, je ne voudrais pas te prendre plus de temps nécessaire alors que tu as d’autres projets bien plus intéressants. »

Ses yeux passent rapidement du carnet à la forge, puis à Clayton dont elle perce le dos d’un regard. Elle ne se départ pas de son sourire, mais un fond de curiosité commence à percer la façade de son visage alors qu’elle se rapproche de lui pour le regarder travailler sans non plus entrer dans son espace vital pour ne pas le déranger.

« Je n’ai pas entendu parler d’une demande pour une nouvelle arme. Tu travailles sur un projet personnel ? »

Elle a conscience qu’elle n’a pas besoin d’en demander plus pour arriver à ses fins. Dis-m’en plus, dit son ton curieux et inquisiteur. Sans menace, sans dureté, tout en douceur, Rae cherche simplement à comprendre ce qu’elle a lu dans ce carnet, à sonder les tréfonds de l’âme créative de Clayton pour voir quelle merveille il compte en faire sortir.

Les lèvres de Raemilia se relèvent dans un sourire discret qui ajoute une pointe d’amusement à son expression. Un lance-flamme portatif. Elle est l’exemple vivant de la raison pour laquelle un tel atout peut être utile, et plus encore lorsque le porteur sait ce qu’il fait. Son cerveau scanne déjà la liste des Chimères qui pourraient en faire un usage plus qu’idéal, tout en réfléchissant à la difficulté du projet. Sans être forgeronne, il lui est difficile d’en venir à une expertise précise, mais elle reste capable de visualiser la complexité de la chose, étant donné le type d’armes habituellement produites ici et à la Colonie.

Elle tourne le regard en direction des plans qu’elle comprend déjà mieux et déchiffre avec plaisir, en sachant ce qu’elle est supposée voir sur le papier. Tout est brouillon, trop sale pour qu’elle puisse sincèrement admirer la préparation de Clayton, mais elle ne peut nier que son esprit fonctionne de manière intéressante.

« Je nous trouve des alliés, Clayton. La Colonie, le Camp, tout cela est trop étroit pour nous. Nous n’avons pas assez de possibilités. Alors je réponds à ce besoin, à l’extérieur des murs. »

Quelques pas feutrés, une nouvelle fois, pour disperser son regard curieux sur les outils et les machines qui les entourent. Plus pour s’occuper que par réelle curiosité puisqu’elle en connait déjà la majorité, à force de visites.

« Si tu as besoin de matériaux introuvables par chez nous, n’hésite pas à m’en faire la demande, ou à passer par Kieran au besoin. Tes progrès sont vitaux à notre futur. »

Cette fois, son sourire n’est plus amusé mais sincère et doux. Clayton est une perle rare, un diamant encore trop brut pour être réellement utile, mais qu’elle s’assurera de voir poli et tranchant dès que possible. Tous ses plans les plus importants dépendent de lui et de ses compétences. Elle passe derrière lui, louve affamée et désireuse de récupérer les fruits de son investissement.

« Et lorsque tu seras parvenu à créer ton lance-flamme, j’aurai une demande très spéciale pour toi. Du genre qui pourrait te prendre plusieurs années à réaliser. »

Sa voix doucereuse promet défis et fierté à ce petit forgeron dont le talent finira par percer les cieux après avoir été guidé dans la bonne direction. Ou plutôt que les cieux, la fourrure immaculée d’une louve qui s’est mise trop souvent sur son passage. Un jour, grâce à Clayton et son ingéniosité, Rae accèdera au panthéon. Elle n’en doute pas une seule seconde.