La Colonie était un endroit étrange, pour Ava. À chaque fois qu’elle y mettait les pieds, elle avait l’impression d’atterrir dans une sorte de réalité alternative. La première fois qu’elle était venue, la Colonie lui était apparue comme une vaste blague. La laideur des bungalows avait agressé ses yeux alors même qu’elle ne comprenait pas pourquoi autant de couleurs et de textures se juxtaposaient. Et puis, le concept même d’empaqueter les gens ensemble en fonction de leurs parents divins lui avait semblé complètement barbare. Les cohortes faisaient tellement plus de sens ! Au moins, il y avait là de vraies valeurs d’unité qui allaient au-delà que juste savoir quel dieu votre parent mortel avait pécho. Tout une identité reposant sur un géniteur ou génitrice absente ? Quelle lose.

La deuxième fois, Ava n’avait pas beaucoup de souvenirs de sa visite. Elle y était venue en visite express avant de rentrer rapidement chez elle. Elle avait assisté à quelques cours et s’était mentalement perdue à essayer de comprendre comment le grec fonctionnait. C’était donc ça, l’effet que le latin avait sur ceux venus de la Colonie ? Quelle horreur. Si elle n’avait pas été Centurion, peut-être aurait-elle séché tout le reste des cours juste par principe – hélas, elle avait maintenant certaines obligations puisqu’elle représentait le Camp Jupiter d’une façon ou d’une autre.

Le pire pour Ava était aussi le meilleur : les entraînements au combat. Les grecs avaient une façon complètement anarchique de faire des cours. Les maîtres d’armes, à la fois quelques adultes mais également des pensionnaires plus âgés, faisaient cours sans donner l’impression de savoir dans quelle direction ils voulaient aller. Chaque cours était selon le bon-vouloir du professeur qui faisait en fonction de son envie. Il ne semblait pas y avoir de cursus précis, pas de technique en particulier… juste une grosse bouillie d’épées et de flèches. D’un côté, Ava ne comprenait rien à la structure même des cours, de l’autre, elle s’y amusait beaucoup plus.

Sans vraiment s’en rendre compte, Ava avait commencé à glisser la Colonie dans ses plannings. Elle y passait de plus en plus régulièrement jusqu’à établir qu’elle y resterait une semaine par mois. Sur le papier, c’était pour soutenir les relations greco-romaines et approfondir ses connaissances sur le style de vie de leurs voisins à l’autre bout du pays, mais au fond, Ava devait se rendre à l’évidence : elle prenait plaisir à venir à la Colonie. Elle aimait le chaos organisé de la Colonie, elle aimait le lâcher-prise des pensionnaires, elle aimait l’ambiance bon-enfant qui s’y dégageait.

Ce fut lors d’une de ces semaines qu’Ava quitta un cours, dispensé par Alekseï Boroïev sur le combat rapproché, éreintée. Elle se dirigea d’abord vers les douches puis elle remarqua la longue file d’attente devant les cabines dont l’eau froide ne la tentait pas plus que ça. Elle choisit alors une autre direction, jugeant que l’air frais calmerait son corps. Elle irait sûrement à la douche lorsque tout le monde serait en train de manger, songea-t-elle. Tant pis si elle se retrouvait à manger les restes dont personne ne voulait. Ava n’était pas difficile en nourriture, mais elle l’était en termes de qualité d’eau – et sur ça, la Colonie ne gagnerait jamais de points.

Ses pas la menèrent alors dans une petite clairière dans laquelle Ava n’avait jamais mis les pieds. Au début, elle fut décontenancée par cette apparition. N’était-elle pas dans la forêt quelques secondes plus tôt ? Finalement, Ava se laissa séduire pour ce lieu. Une surprise de plus ou de moins, elle savait qu’elle était toujours à la Colonie. Ava découvrit avec plaisirs plusieurs faunes qui semblaient s’épanouir pleinement dans cette clairière et s’amusa même avec un enfant qui passait dans le coin. Puis, au loin, une tête blonde attira son regard. Hésitante, un sourire discret au coin des lèvres, Ava se dirigea vers la silhouette qu’elle connaissait si bien.

« Salut. Cette place est-elle libre ? »