Bouger. Retrouver mes racines. Voilà ce dont j’avais eu besoin lorsque le calme fut de retour à la Colonie des Sang-mêlé. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas pris du temps uniquement pour moi, enfermant au plus profond de mon être tout ce qui avait pu me toucher. Il y avait eu ma petite mésaventure dans le Labyrinthe, qui m’avait coûté un doigt. Puis cette rencontre avec Maddox, le charmant légionnaire qui avait eu bien des difficultés à mon encontre lorsqu’il avait fini par savoir que je suis une déserteuse. Et puis le retour dans le Labyrinthe, qui m’avait cette fois coûté mes cheveux. A croire que ces foutus couloirs avaient décidé de prendre un bout de moi chaque fois que je me retrouvais à m’y aventurer... Au moins, nous avions fini par admettre nos sentiments avec le rejeton de Nox. J’avais eu tellement peur pour lui dans ce dédale qu’il était devenu impossible de nier l’évidence. Mais le retour à la réalité n’en a été que plus violent... Parce que je connaissais les ambitions de Maddox et mes sentiments pour lui étaient trop forts déjà... Je ne pouvais pas me permettre de le brider. Il était inconcevable que je le force à rester avec moi, à devenir ce qu’il n’est pas alors qu’il pouvait devenir Centurion et bien plus encore. Là où le Labyrinthe avait décidé de prendre des morceaux de mon être, j’avais moi-même décidé d’arracher un morceau de mon âme... Brisant cette relation toute neuve, par amour pur, je ne me voyais pas rester ici. Il me semblait inconcevable d’être entourée de jeunes demi-dieux, de risquer de croiser des Romains qui auraient décidé de faire une petite visite à leurs homologues grecs. Retourner auprès de mes soeurs a donc été une évidence.

Pourtant, mon retour ne fut pas des plus aisé. J’avais cette fâcheuse tendance à errer comme une âme en peine. Et lorsque je ne ressemblais pas à un spectre, je me noyais dans les entrainements, tentant désespérément de retrouver mes capacités d’antan. Certes, j’étais toujours une combattante aguerrie. Mais il est indéniable qu’un index en moins, ça vous change littéralement la vie. J’avais passé de longues semaines à faire de mon mieux pour retrouver mon niveau d’antan, me décidant même lors de quelques séances à reprendre un arc en mains, arme que je n’avais pas utilisée depuis bien des années. Et finalement, le grand jour est arrivé...

Certaines rumeurs faisaient état de pages de livres particulièrement abimés, brûlées par endroit pour certaines. En digne romaine, je connais bien les rumeurs au sujet des livres de prophéties, perdus depuis bien longtemps. Alors évidemment, des pages partiellement brûlées ne pouvaient qu’attirer mon attention. Il n’en fallut pas plus pour que je demande à partir sur leurs traces. Et puis... Peut-être qu’une pseudo quête me ferait du bien, me permettrait de me prouver à moi-même que je ne suis pas encore périmée. Parce que croyez-moi, lorsque vos capacités se retrouvent diminuées il est facile de se sentir trop vieille pour tout ça. Il m’aura fallu des semaines pour trouver quelque chose. Mais enfin, j’allais pouvoir partir. Sac sur l’épaule, me voilà prête à partir.

Je me retrouvais donc à Philadelphie, après avoir suivi la piste des Cercopès. Des vraies petites saletés mais qui aiment accumuler les trésors, tels des pies chapardeuses. Par tous les Dieux, qu’ils étaient difficiles à suivre ! Cela faisait des jours que j’étais à leur poursuite. Sans compter que je ne dormais plus que d’une oeil, redoutant qu’ils ne profitent de mon repos pour s’emparer de mes affaires. Baillant après une nouvelle nuit agitée, je relevais mes cheveux en une queue de cheval. Ils avaient commencé à bien repoussé, assez pour que je me demande si je ne devrais pas les couper à nouveau, leur rendre la longueur qu’ils avaient eu lors de ma dernière excursion dans le Labyrinthe... Non allez, ce n’est pas le moment de penser à ça ! Enfilant mes bottes, je sursautais en entendant le rire des petits diablotins. “Ben alors, t’as plus envie de jouer à chat ?” Je serrais les dents, attrapais mon poignard et tentais de localiser les voix. J’ai clairement envie de les réduire en charpie... Mais comment faire pour qu’ils acceptent de me céder la page dont ils disposent d’après les rumeurs que j’ai pu entendre ? Je sens l’électricité commencer à crépiter autour de moi. Si je pouvais, je balancerai une onde qui aurait au moins le mérite de les paralyser... Mais cela pourrait s’avérer dangereux pour les mortels qui trainent alentours. Certes, ils ne sont pas nombreux mais mieux vaut ne pas prendre de risque. Je n’avais donc d’autre choix que de les poursuivre dans un endroit plus tranquille... “C’est déloyal de vouloir m’attaquer alors que je n’ai pas encore bu de café...” Je me dirigeais vers un Starbucks, prenant un grand latte à emporter. Les Cercopès ne donnait, apparemment, plus signe de présence. Je n’en restais pas moins vigilante en déambulant dans les rues de Phily.

Il faut croire que la fatigue aura atténué un peu trop ma vigilance. Se faire déposséder d’une boucle de ceinture, c’est une chose (surtout que la mienne est plus là pour faire jolie que pour empêcher mon pantalon de se retrouver à mes chevilles) mais se faire voler un bijou qui a une valeur sentimentale, ça m’a un peu plus mis les nerfs en boule. “Là, vous n’allez pas vus en tirer comme ça !” Je me retrouvais à courir à leur poursuite, évitant les rares touristes qui trainaient par ici. Jusqu’à les avoir coincés dans une impasse. “Cette fois, assez joué !” Je balançais une onde d’électricité, sans leur laisser le temps d’escalader le moindre mur pour fuir à nouveau. Clairement, la paralysie induite par l’électricité se révèle bien souvent pratique. Au moins, j’avais pu attraper les deux petites créatures. Ne me restait plus qu’à leur proposer un échange. “Je veux juste un objet que vous avez. Une page à moitié brûlée, franchement j’vois pas trop l’intérêt que ça peut avoir pour vous du papier dans cet état...” Les deux Cercopès se débattaient mais je relâchais une nouvelle décharge, plus petite mais suffisante pour les calmer. “C’est de la triche c’que tu fais là !” Je roulais des yeux en lâchant un profond soupir “Si vous me laissez la page, je vous laisse un truc en échange.” Je voyais bien à leur regard que j’avais toute leur attention. Mais qu’est-ce que j’allais bien pouvoir leur laisser ? Je pris le risque de les relâcher pour fouiller dans mon sac. Qu’est-ce que j’avais de plus brillant sur moi ? Peut-être qu’un assortiment de bagues pourrait convenir ? J’en avais tout un stock entre celles à mes doigts et celles que je trimballais parce que j’aimais en changer régulièrement. Je leur agitais les plus belles sous le nez. “La page. Et vous pourrez avoir ça et la boucle de ceinture que vous m’avez déjà volée.”


Je n’aurais pas cru que l’échange serait aussi facile. Enfin facile... Presque. J’avais dû aussi laisser la bague que les petits voleurs avaient réussi à me prendre. Peu importait après tout... J’avais rendez-vous devant le Sénat. Mon coeur se serra en arrivant. Et si je le croisais ? Comment allais-je réagir ? Non, je ne devais pas penser à lui, surtout pas ! J’avais accompli ma mission, en tant que Romaine je n’avais plus qu’à remettre l’objet en mains propres.

“Rhylan Crowe, il nous a été rapporté que tu as retrouvé un objet important pour nous !” Je hochais la tête, sortant la page de mon sac que j’avais protégé, pour ne pas risquer de la voir se délité lors du trajet. “Après plusieurs semaines de recherches, j’ai retrouvé une page des livres sybillins.” Des murmures se font entendre. Je ne doutais pas que d’autres avant moi avait dû tenter de retrouver des morceaux des prophéties anciennes. Je leur remis pourtant la fameuse page et attendis le verdict. J’aurai pu repartir comme j’étais venue mais pour une fois, je comptais suivre les règles et attendre qu’on me congédie pour quitter les lieux. Je me retrouvais pourtant à froncer légèrement les sourcils, les observant débattre de l’authenticité de l’objet, tout en me lançant quelques regards. Et finalement, après une attente qui me sembla interminable, ils reportèrent toute leur attention sur moi. Légèrement raide, les mains dans le dos, j’attendais presque qu’on m’annonce que je m’étais laissé bernée par des rumeurs idiotes. “Rhylan Crowe, pour avoir ramené un artéfact précieux à la Nouvelle-Rome, nous t’autorisons à accéder à la ville sans qu’un passe-droit te soit accordé par ta reine. Rien n’est oublié cependant... Mais nous révoquons ton statut de déserteuse.” J’écarquillais légèrement les yeux. Venaient-ils vraiment de m’autoriser à revenir librement à la Nouvelle-Rome ? Ça n’avait aucun sens ! Je ne me souvenais même pas d’avoir jamais entendu ce genre de chose ! Certes, j’avais bravé une ou deux fois (enfin dix ou quinze même) les interdits en revenant ici. Mais la donne venait totalement de changer.