Je suis forcé de le reconnaître, mais depuis que j’ai aménagé au sein du Quartier Kolonaki et que je ne suis plus soumis aux habitudes de la Colonie, j’ai quelque peu relâché mon entraînement. Déjà que je n’étais le plus assidu en cours à l’époque, la flemme a pris carrément le dessus sur tout mon train de vie récemment. J’ai même une petite bedaine qui commence à venir recouvrir les abdominaux que je m’étais dessiné au fil des années passées. Mais difficile de se motiver, d’autant plus quand l’obligation de suivre un planning strict n’existe plus – et, soyons honnête, je suis certainement aussi flemmard qu’un gamin de Morphée. T’es sûr que tu t’es pas trompé en me reconnaissant, papa ? Aussi, après une énième journée à me tourner les pouces dans mon appartement, aidant mes quelques voisins au besoin malgré le fait que la Nouvelle-Athènes ne soit pas encore un lieu aussi plein de vie que le laisse entendre la brochure, j’ai pris une lourde et difficile décision : me lever aux aurores, et partir faire un footing matinal sur la plage. Ouai, j’suis ce genre de personne, moi. Qui agit sur un coup de tête, et qui s’imagine que devoir simplement mettre un réveil fait de moi un héros digne d’accéder aux plaines des Champs-Elysées.

Armé de mes chaussures de sport à peine usées et d’un carré d’ambroisie au cas où une crampe viendrait m’arrêter dans ma course, je prends donc la direction, alors que le soleil commence tout juste à pointer le bout de son nez, de Poséidon Beach. Là, sur cette plage privée aux abords de la barrière magique entourant le domaine de la Colonie, je commence par faire quelques échauffements avant de prendre mon courage à deux mains. Une foulée, deux foulées, trois foulées. Je me retrouve à mobiliser les quelques muscles qui se battent en duel sur mes cuisses pour cette session que j’imagine intense, mais qui s’apparente plus à la remise en forme d’une baleine échouée sur un banc de sable depuis des jours. J’avance à trot lent, comme l’escargot face au lièvre.

Depuis la fin des affrontements contre le Tortionnaire et les déboires qui en ont découlé, un calme relativement rare règne dans le monde des demi-dieux. Pour autant, je suis conscient que cela ne durera pas bien longtemps. Après tout, qui sait les menaces qui se terrent dans l’ombre, attendant une simple étincelle pour venir raviver des barils de poudre depuis des millénaires rangés ? Ce n’est pas comme si, Chiron nous l’a répété assez souvent, la mythologie grecque était exempte de monstres fantasmagoriques et autres chimères attendant leur heure. Les Titans, les Géants, les créatures. Les demi-dieux eux-mêmes ont été parfois ennemis du bien. Et même si je compte mener une vie calme et loin des dangers, je sais que l’espérance de vie de ceux de mon sang n’est généralement pas bien longue. Alors autant être préparé, même si ça signifie devoir mettre de côté mes principes de flemmardises et tenter d’être un fer de lance pour les plus jeunes.

Arpentant la plage en long et en travers, je m’accorde une petite pause après une dizaine de minutes. Oui, j’entends vos remarques accusatrices. Mais, pour ma décharge, c’était dix minutes intenses. M’asseyant dans le sable, transpirant et haletant, j’observe l’horizon. L’océan est relativement calme, les vagues se perdent en écume – j’crois me souvenir que c’est comme ça qu’est née Aphrodite selon les mythes. Ou peut-être est-ce du sang de l’attribut viril de Cronos ? Les deux idées me semblent aussi absurdes l’une que l’autre, mais quand on sait qu’Athéna est une déesse vierge qui enfante en faisant sortir ses rejetons de son crâne, j’me dis que tout est possible.

Alors que le Tortionnaire n’était encore personne, même pas un murmure sur les lèvres des sang-mêlé, des phénomènes étranges portant sa signature avaient déjà eu lieu. Qu’ils aient été réellement de son ressort ou celui d’une autre divinité sadique, ils avaient tout de même existé. Par exemple, Alexis se souvenait avec précision parfaite du moment où elle était morte noyée dans un cauchemar plus que lucide. Elle s’était réveillée avec les poumons en feu, le goût de l’eau dans la bouche et une terreur vive de l’eau en général. Ce fut seulement grâce à un énorme travail sur soi, et grâce aux cours de natation d’Erwin, qu’Alexis appris à ne plus être tétanisée face à une étendue d’eau.

La fille d’Arès songeait à tout ça lorsque la mer venait lécher ses baskets pendant sa course matinale. Quelque part, une voix lui susurrait qu’une créature marine pourrait lui attraper la cheville et la traîner jusqu’au Palais de Poséidon sans qu’elle ne puisse se défendre. Ainsi, elle mourrait dans l’élément de celui qu’elle aimait le plus au monde. L’ironie la faisait frémir et, tant bien même elle reconnaissait l’absurdité de cette pensée intrusive, Alexis se décalait de quelques pas de l’océan, rendant à ses baskets la liberté de ne plus être trempées.

Pour certains habitants de Kolonaki, la vie d’adulte était une véritable libération. Ne plus suivre de planning (ou du moins ne plus le sécher ouvertement), pouvoir organiser ses journées comme bon leur semblait ; tout cela était un plaisir auquel ils avaient rarement goûté. Concernant Alexis, c’était plus compliqué. Elle était habituée à certain encadrement dans ses activités et dans sa vie en générale, et elle était soudainement lâchée dans la nature. « Tu vas y arriver, ma fille, tu verras », lui avait dit sa mère avait de partir après l’avoir aidé à bien emménager – encore une phrase de parent.

Avoir une routine aidait Alexis à organiser ses journées. La course matinale trois fois par semaine en faisait partie. Malheureusement, les matins restants, Alexis passait plus de temps à dormir qu’à agir, ce qui rendait ses semaines complètement distordues. Les matins devenaient des après-midis et les après-midis s’étiraient jusqu’à tard la nuit. Alexis avait définitivement besoin d’une routine plus ancrée au risque de finir comme une larve (musclée) au fond d’un caniveau.

L’attention d’Alexis fut attirée par l’arrivée d’une nouvelle personne sur la plage. Il ne s’agissait définitivement pas d’Erwin pour qui il était bien trop tôt pour se lever un weekend, mais Alexis était trop loin pour reconnaître de qui il s’agissait. Elle s’arrêta dans sa course et en profita pour s’étirer. Elle ne détacha que très peu ses yeux de la silhouette qui s’agitait quelques mètres plus loin. Courir. Ralentir. Cracher ses poumons. Accélérer. Ralentir. Le rythme de cette course était finement maîtrisé bien que complètement aléatoire. Un sourire amusé s’étira sur les lèvres d’Alexis. Le temps qu’elle finisse ses étirements, la silhouette s’étala par terre pour reprendre son souffle. Après un instant de réflexion, Alexis se décida à s’approcher.

Une fois plus près, Alexis reconnut Achille. Son parent divin lui échappait, une divinité mineure qui connaissait peu de progéniture probablement, mais elle le savait très bon combattant. Elle l’avait déjà aidé durant quelques cours et il s’était montré très attentif et endurant. Le voir dans cet état de relâchement physique était beaucoup plus drôle qu’il n’aurait dû. Encore une fois, la vie d’adulte n’était pas tendre avec le tout le monde.

« Session de sport plutôt intense pour toi aussi, de ce que je vois ? »